CHAPITRE UN
Le métissage de la langue française en Côte d’Ivoire
En Côte d’Ivoire, le français continue de jouer un rôle prépondérant. Les progrès de la scolarisation le rendent familier à une proportion grandissante de la population. Devenant une des langues de l’Afrique, le français s’adapte à de nouvelles conditions de néologismes. Nombreux des usages divergents font germer plusieurs variantes du français.
Le français est une langue étrangère qui est acquis comme langue seconde en contexte culturel afin de servir d’instrument de communication. Dans un milieu linguistique hétérogène, elle subit de ce fait des transformations dont le résultat peut aboutir à une variété de la langue d’origine voire à une langue distincte. En Côte d’Ivoire, le métissage de la langue française se développe en trois variétés endogènes de français. Il s’agit du français local (fl) du français populaire ivoirien (fpi) et du nouchi qui coexistent et s’interpénètrent à telle enseigne que même les locuteurs ivoiriens sensés pratiquer. Le français standard voire soutenu est très différente des autres variétés de français.
1.1Le français local
Simard (1994 :29) en donne les caractéristiques suivantes ; « ce français est fortement marqué par la norme académique mais les formes de cette variété ont également pour origine le français populaire ivoirien. La structure des vernaculaires africaines de la Côte d’Ivoire et le mode de conceptualisation propre à une civilisation de l’originalité » En effet, tous les linguistiques.(Duponchel,1994 Lafage,2002 pour ne citer que ceux-là) qui se sont intéressés au français ivoiriens s’accordent à dire que les caractéristiques du français de ce type de métissage de la langue française en Côte d’Ivoire sont d’ordres: phonétique-phonologique, morphosyntaxique lexical e t c, nous allons donc en donner quelques exemples.
Sur le plan phonétique et phonologique, on peut relever certaines réalisations dont la fréquence en fait peut-être des particularités nous pouvons citer.
La confusion entre [i] et [y]
F S F M
Dur {dyr} {dir}
Véhicule {veikyl} {veikle}
Publique {pyblik} {piblik}
Musique {mysik} {misik}
Centure {sε?tyr} {sε?tir}
La délabialisation de la voyelle [?] qui est réalisée par [e] ce trait n’est représentatif d’aucune classe sociale en particulier. Les exemples suivants ont été relevés autant à l’écrite qu’à l’oral.
F S F M
Développement {dev?l?pmã} {devel?pmã}
Premier {pr?mje} {premje}
Samedi {samdi} {samedi}
Au revoir {or?vwa} {orevwa}
Dangereux {dã??r?} {dã?er?}
La nasalisation abusive du [a] précédant ou souvent une syllabe comprenant une voyelle nasal.
F S F M
Abandoner {abãd?ne} {abãdãne}
Attention {atãsj??} {ãtãsj??}
Afin de {afε?d?} {ãfε?d?}
Attendant {atãdã} {ãtãdã}
Acompte {ak??t} {ãk??t}
Effacement du [r] en fin de mot et allongement vocalique.
F S F M
Professeur {pr?fesœr} {pr?fesε}
Toujours {tu?ur} {tuzu}
Sœur {sœr} {sε}
Climatiseur {klimatizœr} {klimatizε}
Rigueur {rigœr} {ridε}
La réduction de certains groupes consonantiques.
F S F M
Côte d’ivoire {k?tdivwar} {k?diwar}
Carte d’identité {kartdidãtite} {kadãte}
Journaliste {?urnalist} {?unalis}
L’effacement de [r] en fin de syllabe allongement.
F S F M
Chercher { εr e} { ε : e}
Parler {parle} {pale}
Partout {partu} {patu}
Les caractéristiques morphosyntaxiques
Plusieurs faits relevant de la morphosyntaxe mériteraient d’être mentionnés comme caractéristiques du francais local. Pour vous donner des exemples, nous en citerons deux : la syntaxe de quelques verbes et l’emploi absolu du verbe « aller » à l’imparfait pour exprimer l’hypothèse.
L’emploi absolu des verbes transitifs. On peut relever des exemples bien connus de « préparer » pour faire la cuisine et fréquenter pour « fréquenter » à l’école. ex
« Ma femme prépare » pour dire, ma femme fait la cuisine.
« Il fréquente à Abidjan » pour dire, il va à l’école à Abidjan.
L’emploi de sens hypothétique du verbe « aller » à l’imparfait est souvent utilisé.
Ex :
Les caractéristiques lexicales
En ce qui concerne le lexique, le francais local fait de nombreux emprunts aux langues ivoiriens.
Tchapalo (sénoufo) bière à base de mil ou de maïs. Ex : je bois du Tchpalo.
Gbaka (dioula) : véhicule de transport en commun. Ex :Elle va au marché en Gbaka.
Yako (baoulé) : terme servant à exprimer la compassion à la suite d’événement malheureux. Ex : je suis venu te dire yako pour le décès de ton mari.
Le néologisme
Dumont et Maurer (1995, p. 31) définissent le néologisme comme « la possibilité de créations de nouvelles unités lexicales en vertu des règles de production incluses dans le système de la langue qui s’enrichit par ce procédé ». On en trouve de tous les genres en français local ivoirien.
Les compositions :
Ces sont des composés formés de deux lexèmes pouvant fonctionner de façon autonome. Ex
Un tais –toi= désigne un billet de 10,00 Fr Cfa.
La dérivation :
C’est un procédé de création morphologique d’unité lexicale avec de nouveaux signifiants. Ex
Les néologismes sémantiques
Extension de sens :
L’extension de sens concerne les termes dont le champ sémantique s’est élargi en français local. Ex
C’est un transfert sémantique. Ex
l’ordre (policier, gendarme, militaire)
C’est une spécialisation de sens. Ex
Ils relèvent surtout des langues locales, c'est-à-dire que certaines expressions sont directement traduites des langues ivoiriennes. Ex
Avoir deux bouches (dérive d’une production baoulé pour qualifier quelqu’un de menteur d’hypocrite)
Ce sont des néologismes qui sont passer d’un champ lexical à un autre.
« Gâter » employé à la place de discréditer humilié. Ex
Termes du français central qui subissent des dérivations et acquièrent une autre valeur. Ex
Le français local est en principe parlé surtout par les ivoiriens qui ont au moins le niveau secondaire. Quant aux peu ou pas scolarisés, ils utilisent une autre variété de français, le français populaire ivoirien.
1.2 Le français populaire ivoirien (FPI)
Initialement appelé francais populaire d’Abidjan (hattinger, 1983) ce français s’est ensuite répandu dans toute la Côte d’ivoire et est devenu le français populaire ivoirien parlé en majorité par les personnes peu ou non scolarisés. Il est maintenant la langue communautaire interethnique de la Côte d’Ivoire. Kauadio (1993,p44) le définit ainsi « c’est une espèce de sabir franco-ivoirien qui utilise des mots français (phonétiquement déformés) sur des structures syntaxiques des langues ivoiriennes » les caractéristiques du FPI sont nombreuses, nous allons en relever quelques unes empruntées à des linguistes spécialistes de la Côte d’ivoire et à notre vécu quotidien.
Elles sont semblables à celles du français local. C'est-à-dire qu’on retrouve la confusion entre le phonème français : [i] et [y] et les problèmes avec les phonèmes suivants. [e], [?], [œ], [a],[ã], l’effacement du [r] en fin de syllabe et en fin de mot. Lafage (2002 p. l) fait remarquer également qu’il existe en FPi « des modifications rythmiques dues, soit à l’adjonction de voyelles épenthétiques reconstituant. La structure syllabique usuelle des langues sources ex {takisi} taxi, soit à l’suppression de groupe consonantiques dans certains lexèmes long, {k?diwar} Côte d’ivoire ». En effet, ces modifications sont fréquentes en FPi par exemples.{saki} pour sac, {alek?li] pour à l’école.
Absence du sujet de l’impersonnel ‘il’
Absence d’auxiliaire.
Disparition du morphème ‘ne’ dans la négation.
Disparition de la catégorie du genre
Disparition de la catégorie du nombre.
Absence du déterminant dans le G N.
Réfection du système d’actualisation des noms, l’article ne fonctionnant plus comme en français. (Il arrive qu’il se combine avec un possessif).
D’autres marques d’actualisation apparaissent telle que là, postposé aux noms et qui a une valeur de défini-déictique.
L’usage abondant des contractions comme ‘y a’, ‘y en a’, ‘na ka’.
Construction difficilement compréhensible pour les locuteurs du français central, parce qu’elles sont influencées par les structures des langues locales ivoiriennes ou calques sémantiques.
Je vais m’ajouter sur Koffi pour aller faire les courses (calque du baoulé)
Mon école n’est pas arrivée très loin (Kouroma, Allah n’est pas obligé p 9)
Ne met pas ta bouche dans mon affaire. (Calque de baoulé)
Il a versé mon figure par terre (traduction littérale imagé du baoulé)
Les néologismes
Ils se marquent ici par les modifications du sens de mots, et des expressions du français central. Exemples
Manger va donner mangement. (C’est son mangement cela signifie que c’est une activité qui lui procure de l’argent.il en tire profit)
1.3 Le nouchi
En combinant ce fpi aux langues ivoiriennes et même à d’autres langues exogènes (français, anglais, espagnol) les enfants de la rue ont crée un argot, le nouchi.
Le nouchi est un argot né au début des années 80.il était parlé à cette époque par les jeunes délinquants, les enfants de la rue, maintenant, les élèves, les lycéens, les étudiants le parlent. Le vocabulaire du nouchi est très riche, il est à base de français, des langues locales. (dioula, baoulé, bété) etc, et voir d’anglais, d’espagnol etc. mais les expressions et les mots français empruntés subissent des changements de sens, des troncations etc, dont l’objectif est de créer un langage secret.
Procédé qui consiste à abréger un ou plusieurs mots.
Le nouchi emprunte aux langues ivoiriennes. Ex mogo {m?g?} :quelqu’un (un mot dioula désignant un individu, une personne, quelqu’un)
Enfin le nouchi combine de nombreux mots empruntés à toutes sortes de langues pour former des phrases comprises seulement de ceux qui appartiennent à leur groupe ou qui l’intègrent.
Exemples :
Y a un mogo dans le logo (français + dioula +baoulé)
Un you a kpa un mogo (français +bété + dioula)
En effet, le français local emprunte souvent des termes au fpi et le nouchi, en empruntant aux deux langues. Par conséquent, la limite entre le fpi et le nouchi a tendance à s’amenuiser et comme le confirme lafage (2002,P. L) « il est difficile de dire quelles sont les spécificités lexicales du fpi, la frontière dans ce domaine entre les différentes variétés locales de français étant complètement artificielle. » en effet dans la vie quotidienne à Abidjan, lorsque quelqu’un dit aloco, woro-woro, gbaka, gou etc. l’on ne peut pas affirmer d’emblée que cette personne parle le fpi, le nouch ou le français local parce que ces termes font partie du lexique de ces trois variétés de français ivoiriens. C’est pourquoi nous les classifions comme le métissage de la langue française en côte d’ivoire.
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